PLANNER DE RAMADAN, TRACKERS ET TO-DO-LIST? FAUSSES BONNES IDÉES?

PLANNER DE RAMADAN, TRACKERS ET TO DO LIST? FAUSSES BONNES IDÉES?

À la veille du mois de ramadan, beaucoup d’entre nous sommes à la recherche d’une organisation parfaite afin de profiter au mieux de ce mois béni. C’est d’ailleurs à cet escient que s’est développé ces dernières années, le monde fabuleux du « planner de ramadan » : un outil qui nous permettrait de mieux gérer notre quotidien afin d’atteindre « les objectifs » de ramadan.

Certaines d’entre nous ont en effet besoin d’être accompagnées

Des objectifs de lecture, d’apprentissage du coran, de sadaqat, d’invocations… à chacune de définir les siens. Des objectifs de productivité qu’on passerait en revue en cochant des to do lists.
Ces planners fonctionnent ainsi : dénombrer les bonnes actions, lire un nombre de pages définies du coran, toutes les actions qu’on s’efforcera de « tracker » ( ce qui signifie tracer pour les non initiés).
Certaines d’entre nous ont en effet besoin d’être accompagnées, voir d’être dans une démarche stricte de peur de passer à côté de ce mois, en s’éparpillant dans nos tâches du quotidien ( tâches domestiques, télé-travail, IEF, activités spirituelles ou non). Nous avons nous même sur notre page Facebook, fait la promotion d’un planner que notre bien aimée soeur de « Avenue des soeurs » propose, car non ce n’est pas une mauvaise chose en soi, c’est même parfois un moyen de mettre à plat les priorités, et dans le contexte actuelle où les actes d’adorations passent souvent après les carrières ou passions, un outil qui fait contre poids et remet nos adorations au centre de nos vies dans cette période importante…
Cependant, comme pour nombre de choses profitables de base, il faut prendre garde aux dérives, et à l’exagération qu’aujourd’hui nous voyons, surtout dans la promotion de l’outil qui est fait : Un outil qui devient dans cette course à la performance, à la productivité, un ennemi des intentions travaillées, de la méditation profonde, donc de la sincérité qui découle de la spontanéité.
Un outil à absolument avoir pour les personnes qui se sentent dépassées. Mais honnêtement, nous nous sentons toutes dépassées à un moment donné ou un autre surtout pendant cette période. Alors les publicités répétitives s’affichent, on se l’arrache, et on y place toute notre confiance. On se sent même nulle de ne pas avoir son planner, voir même de « programme de ramadan ».
On vise des objectifs parfois haut, parce qu’on veut avoir fait quelque chose qui nous satisfait, ou l’objectif est l’accomplissement, alors que ce n’est clairement pas la raison de ce mois.

La question est de savoir, si cette course à la productivité, ne devient pas en elle même un objectif?

Oui, les planners sont des outils qui peuvent être de bons moyens pour s’organiser dans notre vie quotidienne afin de pouvoir mieux gérer notre temps, mais que penser d’un homme qui noterait dans sa to do list de la journée « faire un compliment à sa femme/Mère/fille » ou d’une mère qui a besoin d’un mémo pour ne pas oublier « d’embrasser ses enfants ».
Notre relation aux bonnes actions et à l’adoration ne doit pas être fabriquée.
La question est de savoir, si cette course à la productivité, ne devient pas en elle même un objectif? L’objectif de ce Ramadan est-il vraiment de lire le Quran en entier, en un nombre précis de jour, avec un nombre précis de pages, ou plutôt de prendre le temps de réfléchir à ses mots, au contexte de la révélation de chacun de ses versets extraordinaires?
La méditation n’est pas planifiable, comme l’amour ou l’affection ne le sont pas. La relation exclusive d’un adorateur rempli de péchés, se mesure à la spontanéité de ses actes, ni prémédités, ni superficiels, mais par son intention forte et pure qui précède ses actions, et qui est une condition de son repentir.
Si de nombreux grands hommes et grandes femmes de l’Islam avaient pour habitude de finir le Quran plusieurs fois durant ce mois, n’oublions pas que c’était leur habitude tout au long de l’année, qu’ils avaient une hygiène de vie qui était littéralement calquée sur la récitation régulière du Quran, cette lecture pendant ce mois étant une évidence, et l’aboutissement d’une âme régulièrement éduquée en méditation.

Que nous conseillent les savants de l'Islam à ce sujet ?

On se souvient d’un hadith de ‘Aisha qui s’inquiétait de ne pas trouver le prophète à ses cotés une nuit, pensant qu’il était parti chez une autre épouse, jusqu’à sentir ses pieds en prosternation car il priait (1) . Ce hadith sous entend que l’aspect spontanée qu’on appelle « la fuite » vers Allah est souvent le fait d’une idée qui est subite, une envie profonde issue d’un élan du coeur: La planification à bel et bien ses limites.
C’est d’ailleurs au vu du développement de ces tableaux, tracker, to do list quotidiennes, que cheikh Al Othaymine à dit dans son Majmou3 Alfataawa (1307/16) à leur sujet : « cela peut dépouiller le cœur de la signification « l’adoration à Allâh تعالى », et les adorations seront tels des actes routiniers comme ils disent »
Il explique dans sa fatawa que ce genre de tableau ou planning qui concentre l’adorateur sur leur suivi, peut aussi minimiser des autres actions qui arrivent spontanément et pourtant prévalent en récompense. L’adorateur sera tellement focus sur ses cases à cocher alors qu’il a l’opportunité de faire mieux, qu’il n’a pas atteint ses objectifs :
il dit explicitement dans cette même fatawa« la personne peut être confrontée à des œuvres qui priment dans la base, puis qui seront méritoires pour sa part pour des raisons quelconques, s’il s’occupe donc d’honorer un invité et qu’il délaisse la râtiba de la prière de dhor, alors son occupation par cela sera meilleur que la râtiba. «
Ainsi arrive le sentiment de beaucoup de femmes qui se sentent « coincées » dans leur cuisine, alors que la récompense de servir ses proches, faire à manger pour les voisins, à sa juste mesure bien entendu, est un acte de haute récompense. Elles se plaignent de leur mauvaise condition, elle n’a pas atteint des objectifs et idéalise son ramadhan, et la frustration peut faire des dégâts.

Les adorations ne sont donc pas une liste non exhaustive de petites cases à cocher.

Il s’agirait plus de réfléchir au sens profond de ce mois qui permettrait à terme une remise en question profonde de notre manière de vivre et de la place qu ‘Allah à dans notre quotidien. Cette remise en question nécessaire propulse ainsi obligatoirement et spontanément l’adorateur dans une recherche du moindre acte d’adoration, comme celui qui lis le Quran et tombe en prosternation suite à un verset qui rend grâce à Allah et nécessite une prosternation. Il y a certes des signes sur notre manière d’adorer Allah dans chaque verset, chaque histoire…
Et si le vrai sens de Ramadhan, ne serait pas plutôt, de s’efforcer de vivre chaque seconde comme si elles étaient les dernières, de faire tout au long de la journée la mention d’Allah quand nous préparons la nourriture, quand nous travaillons? Son sens ne serait-il pas de méditer toute une journée si il le faut sur un seul verset, jusqu’à l’appliquer et en être touché au plus profond de nos âmes? Le mois de Ramadhan est le mois du dépouillement de l’être humain, dans l’aspect matériel, dans sa nourriture, mais aussi de sa relation aux choses. Il n’a volontairement rien sans qu’il ne le donne, son âme est mise à nue, et Allah attend de lui une simplicité, et une ferveur telle qu’il l’a décrit au sujet des croyants : « Dis : « Croyez-y ou n’y croyez pas. Ceux à qui la connaissance a été donnée avant cela, lorsqu’on le leur récite, tombent, prosternés, le menton contre terre et disent : « Gloire à notre Seigneur ! La promesse de notre Seigneur est assurément accomplie ». Et ils tombent sur leur menton, pleurant, et cela augmente leur humilité » » (2) Voyez le terme « tombent » prosternés, quand on le leur récite. Une réactivité est recherchée dans les actes d’adorations qui ne doivent pas être fait par mimétisme de masse, la prosternation suite à une lecture sincère, une lecture sincère suite à un besoin spirituel.
La qualité, la sincérité dans la dévotion, c’est le souvenir constant d’Allah, ni artificiel, ni maniéré. Si nous décidons d’utiliser des outils pour faciliter cela, comme les planners, cela n’est pas une mauvaise chose, et peut être un support, mais ne pas y mettre ses espoirs, sa confiance, que nos anciens n’ont pas atteint ce haut niveau de piété en notant ce qu’ils allaient faire le mois, et ne jamais oublier que ce que nous offrons de nous même ne doit pas être baclé, ou servir à flatter notre capacité de production, donc notre égo sur nos supposées performances, ce qu’on appelle le « ‘oujb » ou l’auto-flatterie qu’Allah déteste et qu’Allah nous en préserve, en cochant ses petites cases.
Et cela est valable pour tout : Planner, to do list, mais aussi Quran de différentes couleurs par hizb, gadgets… Chacun à une possibilité d’être une aide, mais fait parfois de l’ombre au vrai sens profond, à l’effort qu’il faut consacrer, et son exagération, son commerce en devient outrancier, surtout parce que le niveau des plus valeureux hommes et femmes de l’Islam ne s’est fait que par l’effort d’une âme combattue, devenue combattive.
Construisons ensemble, une relation naturelle et impulsive, sincère et centrée sur la compréhension des secrets qu’Allah nous révèle à chaque page de ce Quran, pour lequel ce mois est érigé.
Et Allah sait mieux.
Notes:
(1) Aisha (radiaAllah anha) rapporte :
 » Une nuit, je ne vis plus le Messager d’Allah (sallahu aleyhi wa salam) et je pensai qu’il était parti chez une de ses épouses.
Je le cherchai et en revenant je le vis en inclinaison – ou en prosternation – et il disait :  » Gloire et louange à Toi, il n’y a de divinité digne d’être adorée que Toi. »
Je dis :  » Que mon père et ma mère soient sacrifiés pour toi, tu étais occupé [à adorer Allah] alors que je pensais que tu étais sorti [pour te rendre chez une autre de tes épouses] »
Muslim
(2) sourate Al Israa, verset 107.

Source : Aseela.org