Ma soeur, qu’est-ce qui nous arrive ?

Une anecdote vraie, une réelle discussion et rencontre, racontée par une de nos soeurs de Aseela.org, qui met en exergue le besoin de fraternité, et comment les liens rompus peuvent être destructeurs pour la foi.

Après Plus de 2 mois sans se voir, elle m’appelle, et me dit:

– « Exceptionnellement pour l’Eid, ça te dis qu’on se voit avec les enfants? Il y aura aussi Souraya, si ça ne te dérange pas »

– « Pourquoi pas, mais vu la situation (l’épidémie), il vaudrait mieux que ça soit dehors, mieux vaut rester prudent, ça ne nous coûte rien d’être prudents ».

C’est ainsi qu’on s’est revues avec quelques soeurs, pas loin d’un lac, pour l’occasion.

On a parlé de pas mal de choses, on a débriefé sur ce confinement, on a passé en revue toutes les fois où on a frôlé la « bavure internationale » à cause des enfants, du télé-travail ou du mari, on s’est aussi demandé comment allé se passer  » l’après Coronavirus ». On a parlé de nos projets, de nos envies et de nos dégouts, mais les éclats de rire ont soudainement laissés place à une grande nostalgie, et une tristesse profonde…

On s'est demandé comment tout s'est effrité...

On s’est demandé des nouvelles d’autres soeurs qu’on avait pas vu depuis un long moment.

« Elle est en Afrique depuis 1 an, tu ne savais pas? »

 » SubhanaLlah, non je ne savais pas du tout… ça doit faire bien 4 ans je l’ai pas revue, mise à part toi, Hajar, et Aminata, je ne vois plus grand monde, c’est grave quand même, on dirait on s’est endormies »

Plus on discute, plus on essaye de comprendre à quel moment on a cessé de se voir de manière régulière. On était assez nombreuses, tous les vendredi chez l’une d’entre nous, à faire un rappel, certaines vendaient des produits pour financer un départ vers un pays musulman, ou une ‘omra ( petit pelerinage), certaines lançaient une petite collecte pour aider une soeur à surmonter quelques épreuves, on allait à des janaza ( funérailles) de personnes qu’on ne connaissait même pas, à la recherche de la bienfaisance. Mais parfois même sans parler de religion, on gardait un raffermissement rien que par le seul fait de nous voir.

Vient le temps pour comprendre comment telle soeur n’est plus voilée, comment telle autre soeur a changé carrément de « voie ».

Les yeux versent leurs larmes. Non pas parce qu’elles se sont éloignées de la religion uniquement, mais parce qu’on se demande où nous avons échouées. Elles sont nos soeurs, comment n’avons-nous pas réussi à les protéger?

Khadija lance :
– « tu sais aussi, c’est depuis que telle soeur à ouvert son truc, je sais pas ce qui se passe la dedans, mais toutes les soeurs qui y vont et qu’on connait finissent par filer un mauvais coton ».

Souraya répond :

– « Je ne suis pas d’accord avec toi, chacun est responsable de ses actes, elles ont vu que la soeur proposait des activités avec de la musique, les challengeait sur des délires un peu bizarre, elles auraient pu tout de suite stopper, elles ont autant de science que d’autres, on est toutes égales ».

Je demande :

– « Mais selon vous, pourquoi, avec le niveau religieux qu’elles avaient, elles n’ont pas tilté que ça sentait le souffre cette histoire, je veux vraiment comprendre, car on est peut être les prochaines »?

Khadija me dit :

– « Tu sais, y’en a aussi leurs maris sont démissionnaires, ils n’ont pas envie de problèmes, ils disent « oui » à tout. Ils se disent « nos femmes font pas des trucs de fou », elles sont avec des soeurs, du coup ils les laissent aller sans vraiment essayer de comprendre ce qui se joue dans la fréquentation, ils restent quand même des responsables, tu te demandes pas ta femme fait quoi? Elle va où? Qui sont ces amies? Les hommes veulent plus se prendre la tête, les femmes font mal à la tête »

Souraya répond :

– « Peut-être parce que le problème est plus profond, si la soeur est dans la contrainte dans la manière dont elle pratique sa religion de base, un moment donné ou l’autre, le mari il peut rien faire et ça ressurgit, puis les maris aussi ont probablement leurs faiblesses, c’est rare quand c’est pas un couple qui a une baisse de foi ensemble, on a tendance à monter et à descendre à deux… Moi je pense c’est la faiblesse de la foi, tu vois tout le monde dans un délire, limite il devient banal, tu y va un peu par un peu… Le diable il prend son temps sur ton nafs, puis tu vois bien que les conseillés se font lyncher, du coup personne ne dis rien, tu te fais vite passé pour la « sainte-nitouche » et c’est déjà trop tard »

Je répond :

– «J’ai entendu aussi que des soeurs se sont violemment disputées, créant chacune un clan. Personne ne peux plus aller chez une autre, sans que la jalousie les bouffe! La division est une plaie! Résultat: chacune reste chez soi à regarder les reines du shopping. Si c’était pour la religion ! C’est pour une histoire débile de vente de je sais pas quoi en plus, une histoire stupide de concurrence…. Le diable à fini par tout casser pour des trucs sans importance… »

Silence.

Étudions le phénomène émotionnel sous le prisme de ce qu’Allah nous enseigne.

Toutes les analyses familiales, sociologiques, financières, religieuses y passent. On essaye de comprendre comment un groupe comme le nôtre s’est effrité. On a toute une part de responsabilité, c’est bien beau de toujours dire c’est les autres.

Je leur propose « Peut-être que nous sommes responsables toutes à notre niveau, les soeurs qui vont voir cette soeur qui propose quelque chose de sain comme le sport, soupoudré de dounia à fond, et de choses néfastes pour leur foi, elles sont peut-être à la recherche de l’ambiance, de la fraternité, cet effet de groupe qui réjouit les coeurs. On se plaint que le diable travaille pendant que nous on dort? On est toutes influençables. Même l’animal suit le cours de l’eau. Je suis sûre que si on avait eu des alternatives, même cette soeur qui propose des trucs bizarres, elle nous aurait rejoint ! »
Le travail, les problèmes, la santé, les enfants, on a toutes nos lots d’excuses. Mais comment réussir tout ça, toutes ces épreuves sans s’abreuver les unes les autres?

Souraya me lance subitement, comme pour expliquer qu’on est toutes dans le même cyclone :

– « Khadija ne t’a pas mise au courant? juste avant le confinement, j’ai retiré mon niqab. J’ai été convoquée au commissariat, je crois que c’était la goutte qui a fait débordé le vase» Cela faisait des années qu’elle le portait et aidait même des soeurs pour des déplacements en voiture, elle dissuadait jadis aux soeurs de délaisser cette Sunnah. Elle était pionnière.

Je lui répond « Subhanallah… Pourquoi ne m’as-tu pas appelé? C’est la police le problème? Ils te traquent?«

– « je pense qu’ils m’ont dans leur viseur, tu vois bien on est plus quarante mille à le porter, tu grilles vite fait la soeur qui le porte, mais la vérité, je crois que c’est secondaire, y’a toujours moyen de contourner, toi même tu sais, on est des graines, on nous recouvre on pousse de l’autre côté de la clôture, on à plus d’une solution dans notre sac… Je crois plutôt que j’ai été prise de faiblesse, je me suis sentie vraiment seule, et que ces diables, c’était juste la cerise sur le gâteau. J’étais là, et je me suis dit, je m’inflige peut être des choses secondaires, je considère le niqab non-obligatoire, mon mari me laisse le choix, il ne me décourage pas, mais ne me soutient pas spécialement, et je vois que tout le monde ici l’a lâché, en plus j’avais quelques soucis, je crois que j’ai faiblis, je me suis sentie tellement seule dans ce combat, alors qu’Allah sait combien j’y tiens».

Khadija répond

– « Tu as vu moi je ne le portes pas, mais je t’ai dit ma soeur reste pas dans ton coin, on peut s’entraider. Faut que tu sois sur tes convictions, même si je ne le porte pas, je te soutiendrais toujours».

Je lui répond :
– « Tu aurais du aussi m’appeler, je me rappelle combien de fois tu m’a sortie de ma galère justement à ce sujet, je pense que tu as eu une baisse de force, et forcément tu as des épreuves à côté, des rendez-vous médicaux, des galères, mais si tu arrives à passer ce stade comme pour le stade du Hijab, la salat, même quand tu embrasses l’islam: chaque étape a son test, si c’est un objectif religieux pour Allah, je met ma main à couper que tu n’auras plus jamais de problème à ce niveau, crois moi sur parole, si tu passes l’épreuve, Allah te descend la facilité, et deux fois! »

Elle me dit :

– « Tu sais la police tout ça c’est vraiment secondaire, pour moi c’est du foin au fond. C’est l’isolement qui m’a mis un coup, mais tu sais quoi, je suis allée faire des courses, et j’ai senti un changement durant ce laps de temps, qui m’a fait vraiment sentir que j’avais échoué mon épreuve. Un homme est venu me parler pour blaguer avec moi à la limite de la drague, je crois que c’est la première fois que ça m’arrive, je suis restée choquée, comment ça a pu m’arriver à moi, et le timing est un peu plus que « le hasard » je pense c’est Allah qui a fait les choses pour me secouer et me dire  » où vas-tu? ». Le niqab j’y tiens vraiment, il a façonné tellement mon rapport aux choses, ma consommation,  y compris mes habitudes, les endroits que je fréquente, c’est une protection qui te dis tu n’as rien a faire là, c’est plus qu’une histoire de voile. Quand je l’ai retiré, il n’y avait plus de limites que je m’étais fixé depuis l’entrée de son bannissement, tout est devenu accessible, et je pense que ça a porté atteinte à mes valeurs. J’ai vu des choses qui m’ont fait ressentir que j’étais entrain de partir en vrille, j’ai pris la confiance et on a pris la confiance avec moi, et tout était prétexte pour aller à droite et à gauche…. J’ai remercié Allah quand il y a eu cette histoire de masque à porter, car j’ai repris confiance en moi en le remettant…»

Khadija et moi écoutons, et sommes admiratives, parce-que pendant qu’elle raconte, elle pense expliquer qu’elle échoue, alors que pour nous, elle réussit. On écoute quelqu’un qui parle de sa foi, de sa pratique: ça nous parle. Réussir à se remettre en question, peu importe nos choix, nos convictions, ou nos décisions jurisprudentielles, que ça soit le niqab ou bien un filet de pomme de terre, elle s’est sentie seule, et à su malgré ses difficultés, voir ce qu’elle voulait avec Allah. Est ce que Allah voulait pour elle qu’elle régresse?

Je lui dit « tu sais, l’échec, c’est au moment de la mort, il y a autant d’espoir que de secondes qui s’écoulent entre maintenant et ton ultime rencontre avec Allah, et même si tu penses échouer, Allah connait tes difficultés. Ne te mets plus en difficulté, appelle moi, appelle khadija, tu n’es pas seule ! Des solutions je t’en trouves 1000, on rentre ensemble au Paradis insha a Allah.

Nous continuons à discuter, et par le biais de différentes expériences, nous nous raffermissons sans même nous en apercevoir. La seule chose qui nous manque à ce moment là, c’est toutes les soeurs qui se sont éloignées, elles ont aussi leurs histoires, leurs objectifs, du moins elles les avaient. Elles nous manquent.

On a placé quelque chose sur ce mal qui touche les soeurs, et nous touchent toutes : l’isolement et la solitude. Ce n’est peut être pas la raison à tous les maux, mais oui, le loup s’attaque à la brebis isolée du groupe.

On se quitte, et on se promet de lancer, quand les choses iront mieux en France, une invitation pour un pique-nique, comme au bon vieux temps!  Et de prendre soin de nous toutes, de réconcilier un maximum de soeurs, et de refaire vivre les rappels du Vendredi… On se promet de ne plus laisser le silence et la peur du jugement face à nos « échecs » prendre le dessus. On se dit tout, pour se soutenir.

Qu’on porte le niqab, le jilbab, le hijab ou rien du tout, on se promet de faire tout pour se revoir et faire germer cette graine de la foi, qui te fait dépasser toutes les barrières, et de faire barrage à tout ce qui nous fera régresser.

On sourit, et on se lance un : « Salam’alaykoum les soeurs, et au plaisir de se revoir ! »

﴿وَاعْتَصِمُوا بِحَبْلِ اللهِ جَمِيعًا وَلاَ تَفَرَّقُوا﴾ [آل عمران: 103].

﴾Et cramponnez-vous tous ensemble au « Habl » [lien] d’Allâh et ne soyez pas divisés﴿

  • وَاعْتَصِمُوا بِحَبْلِ اللهِ جَمِيعًا وَلاَ تَفَرَّقُوا﴾ `{`آل عمران: 103`}`.
  • ﴾Et cramponnez-vous tous ensemble au « Habl » `{`lien`}` d’Allâh et ne soyez pas divisés﴿

Source : Aseela.org